"Des bouts de coeur et de la fantaisie". Amour et imagination dans la fiction des femmes écrivains de la première moitié du XVIe siècle
Résumé
Les ceuvres de fiction ecrites par des femmes dans la premiere moitie du XVle siecle en France communient non seulement par leur « mate mite », mais egalement par leur passion pour une me me thematique, ce qui a peut-etre a voir d'ailleurs avec ce qu'on appelle souvent leur « feminite » -genericite oblige, En effet et l'observation qui nous apparaissait d'abord banale et evidente semble bien constituer un trait marquant de cette production -, toutes, elles parlent d'amour, actualisant ainsi le mot fameux d'une des leurs, la poetesse Louise Labe, qui affirmait que « le plus grand plaisir qui soit apres amour, c'est d'en parler1 »,Références
Louise Labe, Dihat de Folie et d'Amour, dans (Euvres completes, Enzo Guidici (ed.), Geneve, Droz, 1981, p. 59.
On pourra, entre autres ouvrages, consulter les etudes suivantes: Massimo Ciavolella, La Malattia d'amore dall'antichita al Medioeva, Roma, Bulzoni, 1976; Eros and Anteros: the Medical Traditions of Love in the Renaissance, Donald A. Beecher et Massimo Ciavolella (dir.), Ottawa, Dovehouse Editions, 1992;
Jacques Ferrand, A Treatise on Lovesickness, Donald A. Beecher et Massimo Ciavolella (trad.), Syracuse (N.Y.), Syracuse University Press, 1990.
Les textes analyses sont Ies reuvres completes de Louise Labe et de Pernette du Guillet, l' Heptamtron de Marguerite de Navarre, les Angoysses douloureuses qui procedent d'amours d'Helisenne de Crenne ainsi que son Songe et ses Epistres fomilieres et invectives.
Nous ferons, tout au long de cet article, une utilisation indifferenciee des vocables « fantaisie » et « imagination» -et de leurs nombreux derives -comme renvoyant tous deux, egalement, a la faculte imaginative et a ses productions. Voir Guylaine
Fontaine, De la «fontasie» humaine: Montaigne et l'imagination,
memoire de maitrise, Montreal, Universite McGill, 1993; deux
joumees d'etudes, organisees par Marie-Luce Demonet al'Universite
Clermont-Ferrand, en 1994 et 1995, ont ete consacrees a
la «fantaisie », du Moyen Age au XVII siecle.
Marguerite de Navarre, Heptameron, Simone de Reyff (ed.), Paris, Flammarion, 1982, colI. « GF», n° 355, p. 181.
Louise Labe, op. cit., pp. 86-87; nous soulignons.
Helisenne de Crenne, Les Angoysses douloureuses qui procedent d'amours, Christine de Buzon (ed.), Paris, Champion, 1997,
p.105.
Helisenne de Crenne, Les Epistres fomilieres et invectives de ma dame Helisenne,jean-Philippe Beaulieu (ed.), Montreal, Presses de l'Universite de Montreal, 1995, p. 108.
A ce propos, nous renvoyons le lecteur aux nombreux travaux de Donald A. Beecher sur le sujet : «1'Amour et le corps : les maladies erotiques et la pathologie a la Renaissance », dans Le Corps ala Renaissance, jean Ceard (dir.), Paris, Aux amateurs de livres, 1990, pp. 423-434; « Quattrocento Views on the Eroticization of the Imagination», dans Eros and Anteros: the Medical Traditions of Love in the Renaissance, op. cit., pp. 49-65.
Cite par Grahame Castor, Pleiade Poetics. A Study in Sixteenth Century Thought and Terminology, Cambridge, Cambridge University Press, 1964, p. 138.
Nous traduisons ce passage que cite Donald A. Beecher dans «The Essentials of Erotic Melancholy: the Examplary Discourse of Andre Dulaurens», dans Love and Death in the Renaissance, Kenneth R. Bartlett, Konrad Eisenbichler et janice Liedl (dir.), Ottawa, Dovehouse Editions, 1991, pp. 44-45.
Robert Burton, The Anatomy of Melancholy, FIoyd Dell et Paul jordan-Smith (ed.), New York, Tudor Publishing Co., 1927,
p. 658. Nous traduisons.
Pietro Pomponazzi, Les Causes des merveilles de la nature ou les enchantements, Henri Busson (trad.), Paris, Les editions Rieder, 1930, p. 139.
Pemette du Guillet, Rymes, Franc;oise Charpentier (ed.), Paris, Gallimard, 1983, coil. « Poesie », p. 79.
Par exemple, un traite de Benjamin Bablot (conseiller-medecinordinaire du Roi a Chalon-sur-Mame), pam en 1788 s'intitulait : Dissertation sur le pouvoir de l'imagination des femmes enceintes. Dans laquelle on passe en revue tous les grands Hommes qui, depuis plus de 2000 ans ont admis ['influence de cette foculte sur le ffEtus et dans laquelle on repond aux objections de ceux qui combattent cette Opinion,
p. On pourra consulter, sur ce sujet, l'ouvrage de MarieHelene Huet, Monstrous Imagination, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1993, ainsi que l'etude d'Evelyne Berriot-Salvadore, Un corps, un destin. La femme dans la midecine de la Renaissance, Paris, Champion, 1993, pp. 131-138.
Helisenne de Crenne, Le Songe de madame Helisenne de Crenne,
Jean-Philippe Beaulieu (ed.), Paris, Indigo & Cote-femmes editions, 1995, p. 68.
Notons cependant que les ecrits feminins qui nous interessent presentent aussi un exemple tres fort de jalousie chez l'homme, en la personne du mari d'Helisenne. Cette jalousie se trouve malgre tout encore associee a la faculte imaginative. En effet, Helisenne reproche ce sentiment ason mari comme n'etant chez lui egalement que le produit d'une « folIe imagination », d'une « furieuse fantaisie » ou encore d'une « perverse fantaisie ».
Voir Donald A. Beecher, « L'Amour et le corps: les maladies erotiques et la pathologie a la Renaissance », dans Le Corps ala Renaissance, op. cit., pp. 423-434.
Aristote, De ['time, E. Barbotin (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1966, Ill, 3, pp. 78-79.
Voir Robert Klein, «L'Imagination comme vetement de l'ame chez Ficin et Bruno », Revue de metaphysique et de morale, n° 61, janvier-mars 1956, pp. 25-26.
Voir ace propos l'ouvrage de Lance K. Donaldson-Evans, Love's Fatal Glance,' A Study of Eye Imagery in the Poets of the Ecole Lyonnaise, University (Miss.), Romance Monographs, 1980.
Aussi : «me retiray en ma chambre OU j'estois plus voluntiers seule qu'accompagnee, pour plus solitairement continuer en mes fantasieuses pensees [ ... ] » (p. 134) ; «Je pensoys et ymaginois incessamment nouvelles subtilitez pour faire absenter mon mary [...] » (p. 159) ; «je me retiray en lieu secret et tacitume pour plus solitairement continuer mes fantasieuses pensees [ ... ] » (p. 187).
Pour le dire ala maniere de Montaigne, voir « Du repentir », Il, xviii, 665C.